Une communication de Sensei Habersetzer en réponse à tant et tant de courriers ...

Le Président du CRB reçoit, à vrai dire depuis longtemps déjà, mais ces derniers temps de plus en plus fréquemment, des courriers, téléphones, fax, e-mail, de pratiquants d'arts martiaux, ou futurs pratiquants, à la recherche de vrais Dojo de Budo, de vrais Kwoon de Wu-Shu, dispensant un enseignement dans la ligne qu'il décrit dans ses livres et manuels. Une ligne qui les séduit, mais qui se révèle en rien conforme avec ce qu'ils trouvent trop souvent sur le terrain … Au point que, las de répondre encore et toujours dans le même sens, et de faire une publicité à des responsables qui n'assument guère chez eux (parfois même au point d'écœurer … disent les mêmes courriers !), Sensei Habersetzer a pensé qu'il pouvait être utile de publier sur notre site une position qu'il avait prise depuis longtemps. Et qui lui évite de continuer à se redire, encore et encore … sans que cela ne change rien à rien. Voici donc un texte qui peut servir de réponse-type, et qui n'a pas vieilli !

(Ce texte du Sensei, est paru en janvier 1991 dans le numéro 42 de sa revue " Le Ronin ", et a été repris, tel, dans son livre " Ecrits sur les Budo " publié chez Amphora en 1993).

 

 

Recherche Gourou passionnément….

" Dans l'important courrier qui m'arrive depuis des années, que de bouteilles à la mer … De France, bien sûr, mais aussi de bien des pays du monde, à mesure que les arts martiaux deviennent un phénomène de société, banalisés jusque dans les campagnes les plus isolées. Et la vague s'accentue. Venant de jeunes comme de moins jeunes qui se disent passionnés par le Budo, ou le Wu-Shu, qui cherchent gloire ou métier, ou simplement un moyen pour donner des couleurs à la vie. Qui s'enquièrent d'un maître qu'ils pourraient suivre à travers les embûches de la Voie, d'un modèle, sage, gourou, qui serait à leurs yeux l'incarnation même de l'idéal dans lequel ils ont décidé de s'investir. Prêts à aller jusqu'au bout d'un choix de vie, prêts à s'exiler s'il le faut, au japon, en Chine, ou ailleurs, pour rejoindre LE maître, au fond d'une grotte ou au somment d'une montagne. Prêts à y mettre le prix, si c'est une question de prix … Ces " avis de recherche " tournent souvent aux véritables appels au secours, signés de pratiquants déçus par l'énorme distorsion entre une théorie exaltante et une réalité trop souvent difficilement vécue au niveau du Dojo de quartier. Que répondre à tant de misère ? ... Les gens sont ce qu'ils sont, et l'époque ce qu'elle est. Il faut faire avec, comme on dit. Malgré tout. Cela en vaut toujours la peine. Certes … Il faut avoir beaucoup de patience et de courage pour se jouer de tant d'obstacles sans perdre son âme au contact de tant de dégénérescence des arts martiaux accommodés à l'air du temps. Pour rester fidèle à soi-même et ferme sur ses choix. Il faut avoir assez d'intelligence aussi pour se convaincre, même si cela complique singulièrement les choses, qu'il n'y a de maître qui ne soit d'abord un homme, donc faillible et imparfait. Ni ici, ni là. Ni même loin là-bas. Il faut avoir suffisamment de sincérité dans la démarche pour ne pas, un jour, se satisfaire comme tant d'autres de la superficialité si anesthésiante des choses. Il faut savoir que ni moi ni probablement personne ne peut plus rien changer à l'évolution des arts martiaux. Des pas décisifs ont été franchis depuis longtemps maintenant. Et qu'il ne sert strictement plus à rien de pleurer sur une situation sans doute déprimante mais voulue par la grande majorité des pratiquants actuels, complices à des degrés et à des titres différents, et ce jusqu'aux plus hauts niveaux. Il ne sert plus à rien de regretter à corps et à cris, encore moins de faire semblant, pour, à la moindre pression, rejoindre docilement les rangs avec cette lâcheté tant partagée dans le monde Budo actuel. Mais oui, j'ai vu cela si souvent … A la toute petite minorité qui, je veux encore le croire, s'accroche tout de même dans la tempête avec une droiture, une sincérité et un enthousiasme qui l'honorent, je voudrais tout de même dire ici qu'il ne faut pas un jour, de guerre lasse, et dans un accès de désespoir bien compréhensible, céder à la tentation de " vider le bébé avec l'eau du bain ", comme tant d'autres l'ont déjà fait. L'art martial, c'est une chose. L'individu censé le représenté, c'est, et cela a toujours été, autre chose. Il faut résister à l'envie de confondre. Il faut garder la force et la lucidité du discernement. Je dirais aussi que s'il reste des maîtres authentiques … ils se cachent, signe de leur maîtrise. Vous ne les trouverez pas exhibitions publiques et lucratives, ici et là … Le vrai maître préfère l'anonymat, en tout cas fuit les feux de la rampe. Vous aurez un peu de peine à le trouver, et encore plus à vous faire accepter. Je dirais enfin, avec un peu de crainte quand même de faire gonfler certaines têtes prédisposées, que le maître sommeille en vous. Qu'il n'est point besoin d'aller au bout de la terre. Et que c'est de ce maître là que vous aurez le plus besoin. Que tout maître extérieur dont l'enseignement n'est pas orienté vers la révélation, à terme, de ce " maître intérieur ", est à fuir. En espérant que c'est assez pour redonner courage et relancer la quête. Bien sûr, vous aurez souvent à fuir … Et tout cela peut paraître bien décevant. Mais que faire d'autre ?

Que cette minorité comprenne aussi que je ne puis réparer, du fond de ma campagne, les pots cassés par des irresponsables que la majorité a porté au pouvoir, semble-t-il à jamais, avec la bénédiction de " maîtres " orientaux dont messages et comportements sont pour le moins contradictoires. " Recherche … gourou passionnément … maître désespérément. " Certes, mais … Je n'ai plus de carnets d'adresses miracles. Je n'ai plus à prendre sur moi les responsabilités d'autrui. Je ne peux et ne veux plus passer le reste de ma vie à ramasser toutes les bouteilles jetées à la mer. Qu'on se le dise enfin. J'ai mis du temps avant de décider que j'avais désormais plus utile à faire. A commencer par n'engager, dans ce que je dis, écris et fais, que moi. J'en ai soudain assez d'assurer l'après vente pour quantité d'experts et de " maîtres " qui, si souvent, déçoivent à l'usage et galvaudent si légèrement la confiance dont il leur arrive de bénéficier plus d'une fois par l'intermédiaire de l'un ou de l'autre de leurs écrits. Cela est-il suffisamment clair ? C'est qu'en trente ans de militantisme Budo, j'ai déjà donné … "

 

 

Que dire de plus aujourd'hui … ? Que je ne changerais rien à cette réflexion d'il y a exactement …13 ans. J'ajouterais simplement, aujourd'hui, que j'ai tout de même fini par en revenir, de ce " rêve éducatif ", auquel j'ai vraiment cru et dans lequel les Dojo auraient leur part. Quelque part, stupide de ma part … car comment ce rêve peut-il lutter dans une société dans laquelle une petite minorité intéressée et puissante a fait de la bêtise humaine un juteux marché ?? On ne peut lutter contre cette évidence. Et puis, aussi, cette injonction que j'avais trouvée en Amérique, et qui me plaît bien : " If you don't agree with something, do something to change it ! " (Si vous n'êtes pas d'accord avec quelque chose, faites quelque chose pour le changer …) ? Alors … que tout le monde assume enfin ! Je ne me sens plus concerné que par ce qui se passe dans MA " maison ", c'est-à-dire les Dojo du " Centre de Recherche Budo ". Vous pouvez les rejoindre, si vous ne vous en trouvez pas trop loin. Le paysage n'en est certes pas couvert, car nous ne voulions pas devenir une organisation professionnelle, ce qui nous aurait obligé à des compromis …Un choix réfléchi de notre part. J'oubliais : mon livre " Ecrits sur les Budo ", paru chez Amphora en 1993, qui rassemblait tous les textes et éditoriaux divers que j'avais signés ici et là depuis … 1970, n'a pas été un succès de librairie ... Mais je le savais avant qu'il ne paraisse ! Mais voyez vous, je voulais vraiment tout essayer pour crier au loup ...

Roland Habersetzer, à Saint-Nabor, janvier 2004